Moins de viande ou plus de viande ?
L’UE empêtrée dans ses contradictions

L’Union européenne affiche des objectifs vertueux. Dans sa stratégie “De la ferme à la table”, votée le 19 octobre dernier à Strasbourg, elle affirme son engagement pour un modèle agricole et alimentaire qui respecte les limites de la planète. De la même manière, elle recommande des régimes largement végétalisés dans le cadre de son plan de lutte contre le cancer, voté en février dernier. Le hic, c’est que l’Europe continue à soutenir financièrement des productions qui vont à l’encontre de ces objectifs. L’AVF est mobilisée pour dénoncer cette contradiction et faire entendre la voix des citoyen·nes.

par Marion Delnondedieu, Elyne Etienne et Élodie Vieille Blanchard - 3 novembre 2021

L’UE dispose d’un programme de promotion des produits agricoles, dont le budget annuel s’élève à 200 millions d’euros environ. Entre 2016 et 2020, 32% de ce budget étaient consacrés à des campagnes de publicité pour la viande et les produits laitiers, et 28% à des campagnes pour des assortiments de produits, contenant presque tous des produits laitiers ou de la viande. Des campagnes financées dans le cadre de ce programme, telles que “Let’s Talk About Pork” et “Become a Beefatarian” visaient explicitement à augmenter la consommation de viande afin d’aider le secteur agricole et animal de l’UE à rester compétitif. Pourtant, ces industries sont des contributrices majeures aux émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Récemment, la Commission européenne a entrepris une révision de sa politique de promotion des produits agricoles, “en vue de renforcer sa contribution à une production et une consommation durables, et en ligne avec le passage à une alimentation plus végétale, avec moins de viande rouge et transformée et plus de fruits et légumes”. Les États ont été consultés, et ainsi la France s’est opposée à l’exclusion de la viande et des produits laitiers des promotions, au motif que cette exclusion donnerait une image contraire à “la diversité, la tradition et l’excellence culinaire des pays de l’UE”, et nuirait à la compétitivité de certaines filières. D’autres pays, en revanche, ont défendu des positions ambitieuses, à l’instar des Pays-Bas qui ont demandé l’arrêt complet de ce programme, considérant que les campagnes de publicité des produits agricoles devaient relever des filières et non des fonds publics.

 

Les citoyens, quant à eux, ont pu s’exprimer sur le portail “Have your Say” de mars à juin 2021. Au total, 7182 personnes ont répondu à cette consultation, dont 68% de Français·es. 95% de ces citoyen·nes ont ainsi demandé à l’UE d’exclure de ce programme de promotion les produits n’étant pas alignés avec une transition alimentaire plus végétale.

Extrait du rapport de synthèse de la consultation 

Ces résultats illustrent une forte volonté citoyenne de changement, fondée sur le refus que l’argent public soit utilisé à l’encontre d’une transition agricole et alimentaire digne de ce nom. 

 

Cette participation n’a pourtant pas reçu l’attention méritée lors de la conférence des parties prenantes organisée sur deux jours les 12 et 13 juillet 2021 par la Commission, au cours de laquelle les résultats de cette consultation ont été présentés et discutés. En effet, la légitimité des contributions citoyennes a été à plusieurs reprises mise en doute. En cause, la forte représentation de la France au sein des contributions, notamment suite à l’engagement associatif de l’AVF, Proveg international et L214, et le profil considéré comme engagé — et donc non représentatif — des répondant·es. Pourtant, les réponses se sont avérées concordantes dans d’autres pays. En outre, la Commission européenne a davantage donné la parole aux industries de la viande et des produits laitiers plutôt qu’aux associations, à la société civile et aux citoyen·nes.

Pour corroborer la demande citoyenne, une lettre ouverte co-signée par 67 scientifiques, dont Jane Goodall, avait été envoyée en juin 2021 à la Commission pour demander la fin du financement de campagnes de publicité pour la viande et le lait, au regard de l’urgence climatique et des enjeux sanitaires. Là encore, la réponse apportée par le Commissaire européen à l’Agriculture et au Développement rural, Janusz Wojchiechowski, s’est avérée insatisfaisante. Si, dans sa réponse, M. Wojchiechowski a reconnu que le passage à une alimentation plus végétale pouvait être bénéfique sur le plan du climat et de la santé publique, il a déclaré dans le même temps que la révision de la politique de promotion devrait se concentrer sur une réforme des méthodes de production animale, et non sur une réduction de cette production. 

 

En réaction à ce statu quo incompréhensible des politiques publiques françaises et européennes, a fortiori dans un contexte d’urgence écologique et de crise sanitaire, l’AVF s’est adressée au Ministère de la Transition écologique, au Ministère de l’agriculture et de l’alimentation et au Ministère des solidarités et de la santé pour que la France réclame à la Commission européenne une étude approfondie de l’impact  des campagnes de publicité financées, étude susceptible d’éclairer des choix futurs et de favoriser des pratiques de promotion plus vertueuses. Il est urgent d’infléchir le modèle agricole et alimentaire dans les pays industrialisés, et l’AVF reste pleinement mobilisée pour que l’argent des contribuables d’Europe soit mis au service d’une alimentation plus durable et donc plus végétale.

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